Gabon : des étudiants à l’étranger étranglés par les retards de bourse

De Paris à Moscou, en passant par Bruxelles ou Casablanca, des milliers d’étudiants gabonais vivent aujourd’hui dans l’incertitude. En cause : les retards persistants du versement de leurs allocations d’études par l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG). Entre loyers impayés, menaces d’expulsion et décrochage académique, la détresse gagne du terrain, tandis que les autorités de Libreville gardent le silence.
« Nous vivons constamment avec la peur de perdre notre logement, de rater nos examens ou de sombrer dans l’épuisement », alerte une tribune publiée début septembre par le Collectif des étudiants gabonais boursiers à l’étranger. Ce texte, signé par des représentants établis en France, au Maroc, en Belgique, en Espagne et en Russie, s’adresse directement au président Brice Clotaire Oligui Nguema.
Sans retour du gouvernement, le 19 septembre, une centaine d’étudiants a manifesté devant l’ambassade du Gabon à Paris. « On nous a promis une solution rapide, mais tout le monde sait que ce problème va se répéter », confie l’un des organisateurs au micro de France 24. « Le plus dur, ce n’est même plus l’attente, c’est ce sentiment permanent que nos droits n’existent pas. »
Une crise qui dure depuis des années
Les difficultés de l’ANBG ne sont pas nouvelles. Dès janvier, des protestations avaient éclaté à son siège de Libreville après quatre mois d’interruption de paiement. Depuis 2011, le nombre de boursiers est passé de 11 000 à près de 30 000, dont environ 5 000 poursuivent leurs études hors du Gabon. Face à cette croissance, l’agence a multiplié les recrutements, parfois sans couverture budgétaire, ce qui a accentué ses fragilités internes.
Résultat : des virements irréguliers qui paralysent la vie quotidienne des étudiants. En France, un futur ingénieur raconte n’avoir rien perçu depuis deux mois : « Je suis à découvert, je n’ai pas payé mes frais de scolarité, et je me demande chaque jour comment manger. Parfois, il ne me reste même plus de quoi payer le bus pour aller en cours. ».
En Russie, la situation est encore plus dramatique. Un étudiant basé dans l’Oural affirme attendre depuis cinq mois. Pour lui, l’agence fait preuve de « nonchalance » et de « mépris » : « À chaque fois, on nous répète que c’est un problème de trésorerie. Mais combien de temps encore devons-nous patienter ? »
Des réformes sources d’inquiétude
En juillet dernier, le président Oligui Nguema a annoncé la suspension des bourses dans certains pays occidentaux afin de limiter la « fuite des cerveaux ». Si l’ANBG assure que cette mesure ne vise que les nouveaux demandeurs, de nombreux étudiants y voient une remise en cause du droit à une formation internationale.
« On comprend les impératifs budgétaires, mais restreindre l’accès aux meilleures écoles est une erreur stratégique », estime un membre du collectif. « Si les jeunes s’expatrient, c’est parce qu’ils trouvent ailleurs ce que leur pays ne leur offre pas. Le véritable enjeu est de créer les conditions pour qu’ils aient envie de revenir. »
L’urgence d’une réponse politique
Depuis juin, une nouvelle directrice tente de redresser une agence décrite comme « exsangue », invoquant un budget limité et des arbitrages financiers contraints. Mais pour les boursiers, l’urgence est ailleurs : survivre et continuer à étudier.
En pleine période électorale, leur mobilisation prend une tournure politique. « Nous ne demandons pas des privilèges, nous exigeons simplement le respect d’un droit fondamental : l’accès à l’éducation », martèle le collectif. En attendant une solution durable, chaque retard de paiement continue de suspendre des vies entières à un simple virement bancaire.